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Mes souvenirs à partager: une jeunesse en Afrique Equatoriale Française AEF, Une vie de famille, et la suite...

Tome 3 : (DAI) Chapitre 8 : Les jours ne sont pas toujours calmes

Chapitre 8 : Les jours ne sont pas toujours calmes

 

        J’ai déjà évoqué les difficultés relationnelles que je rencontrais avec ma tutelle Camerounaise.

        Elles étaient pour l’essentiel centrées sur l’application, ou non, de la politique d’équilibrage ethnique en ce qui concernait le recrutement des élèves ingénieurs.

        Il me faut préciser ici, qu’en toute autre occasion et tout autre propos, j’ai toujours reçu, de la part du « Sphinx », du Recteur Jean Fouman Akamé, les meilleures instructions, avis, et conseils.

        Il se trouve que j’avais une autre tutelle et non le moindre, celle de l’Ambassade de France, ou plus exactement, celle de la Mission Française de Coopération… Le fait de recevoir des moyens financiers en appui de programmes de développement et aussi, de bénéficier de la mise à disposition de quelques 20 à 25 postes de coopérants français, imposaient quelques obligations…

        Dans ma naïveté première, j’avais imaginé que j’étais mis, en tant que fonctionnaire, à la disposition de l’administration camerounaise, et, en conséquence, que mon autorité de tutelle directe était pour moi, le Chancelier Fouman Akamé, et au-dessus le Ministre en charge de l’Enseignement Supérieur Monsieur Ze Nguele…

        Or, je vais illustrer l’ambigüité de cette tutelle plurielle  sur un exemple, parmi d’autres…

* *

*

        Au cours des trois années de mon mandat de Directeur, j’ai, nous avons, travaillé au programme d’extension de l’école.       Parmi les nouveaux bâtiments prévus, hors des locaux de la future Direction qui devaient être implantés à la place du reliquat des habitations qui subsistaient en bordure de l’avenue de Mélen. Un important bâtiment technique était en projet, au bénéfice du Département de Génie Civil, alors sous la tutelle du sympathique  Chef de Département Vincent Kamgueu.   

        Concevoir un bâtiment technique tel qu’un Centre d’Essai en Génie Civil, est difficilement concevable sans évoquer, très précisément, les moyens techniques devant être mis en place.

        Or, nous recherchions, nous les camerounais de l’école, les moyens à implanter sur cette plate-forme antisismique en projet…

        Il se trouve que la coopération Suisse avait, pour de tels investissements, formulé des propositions particulièrement intéressantes.

        Nous disposions du financement Français pour les infrastructures ; il nous paraissait, il me paraissait intéressant d’y adjoindre d’autres moyens, fussent-ils Suisses !

        C’est la première fois que j’ai pris très profondément conscience de la vanité de l’action de la France alors et en ces lieux…

        - Mais enfin, Guitard ! Vous n’allez pas favoriser l’intrusion des Suisses dans notre projet ?

        - Monsieur le Chef de Mission, en ma qualité de fonctionnaire camerounais, Directeur de l’ENSPY, je ne saurais négliger aucune aide, d’où qu’elle vienne au bénéfice de mon établissement.

        - Mais, enfin, vous êtes Français !

        - Non Monsieur, pas au cours de ce contrat de deux ans…

        Ce brave homme, ancien des pétroles du Gabon, essayait de me faire rentrer dans le rang, dans quel rang ? Celui de la France qui continuait à moissonner sur le dos des pays d’Afrique, avec la complicité des bénéficiaires locaux…

        Je ne peux, ici, me limiter à une narration chronologique des évènements qui suivirent,

        Le bâtiment fut construit, les équipements vinrent mais j’ignore quels en furent les promoteurs…

        De cela, ce qui m’importait, en y réfléchissant à tête reposée, était que nous puissions bénéficier des meilleurs moyens, d’où qu’ils viennent, et je n’avais pas imaginé que nous soyons irrémédiablement et si étroitement liés à la France.

        J’ai intitulé ce tome de mes mémoires : Découverte d’une Afrique Indépendante (DAI) ; je n’ai jusque-là évoqué que des évènements et des situations sans révéler explicitement  où sont les particularités de cette après-colonisation ?...

        Je me suis progressivement mis à faire un parallèle entre : esclavage et néo colonisation…

 

 

 

 

Enlle n'est pas belle, l'Afrique?

Enlle n'est pas belle, l'Afrique?

* *

*

        Enfant, jeune adolescent congolais, j’ai rejoint par une marche scoute enthousiaste la Pointe Indienne à Loango, depuis Pointe Noire, alors au Moyen Congo (une vingtaine de kilomètres)…

        Je suis allé à Ouidah, sur ces plages du Bénin, voir quarante ans plus tard, ces plages d’où partirent…

        J’ai visité, plein d’interrogations, l’ile de Gorée, je l’ai même survolée à de multiples occasions aux commandes d’un Piper Archer de l’aéroclub Iba Gaye de Dakar, ceci juste avant la fin du siècle…

        J’aurais probablement pu citer d’autres lieux de la côte du Golfe de Guinée d’où partirent, au cours de trois siècles (du 16ème au 19ème), les quelques centaines de milliers d’esclaves vers les Amériques: du Nord, Centrale et du Sud.

La maison des esclaves sur l’ile de Gorée.

La maison des esclaves sur l’ile de Gorée.

 

 

 

        Mais, comment des barcasses de quelques centaines de tonneaux, montées d’un équipage de quinze à vingt hommes, pouvaient embarquer les cent-cinquante à deux cents esclaves hommes et femmes ? Ceci d’autant plus que les comptoirs où ces bateaux  venaient s’approvisionner n’étaient semble-t-il que maigrement peuplés par ces quelques blancs résidants…

       

 

C’est alors que j’ai mesuré l’importance de ces rois locaux, Rois de Loango, Rois de Ouidah, Rois Wolof du Cap Vert et surtout de Saint Louis ; ce sont ces rois qui monnayaient les esclaves, prélevés par leurs  soins à l’intérieur des terres,  échangés pour des fusils de traite, des barres de fer, de la verroterie,…

        L’esclavage s’est développé à cette période au bénéfice premier des rois de la côte qui assuraient l’approvisionnement des maraudeurs des mers.

        Mais, avant la fin 1492, année de la découverte de l’Amérique, mais aussi année du départ de Boabdil d’El Andaluz, le dernier Calife de Grenade, qui s’occupait du prélèvement des populations jeunes et en bonne santé de la zone intertropicale africaine ? Les Arabes, probablement entre le huitième et le seizième siècle,…

        Mais d’où venaient sous l’empire Romain et même dans l’Egypte des Ptolémée, ces esclaves africains, de Nubie, seulement ?

        Je crois avoir compris, depuis les époques historiques les plus lointaines, l’Afrique sub-saharienne fut un réservoir d’hommes et de femmes pour satisfaire aux besoins de main d’œuvre du bassin méditerranéen, depuis toujours et des Amériques depuis la découverte de l’Amérique… Mais je suis persuadé qu’ils furent vendus, par leurs propres frères…

        En conclusion, l’Afrique intertropicale fut pillée au cours des vingt derniers siècles, pour le moins, par des gens du nord, avec la complicité indiscutable de potentats locaux.

        Notons que les chemins de la traite de Tombouctou, de Khartoum ou d’Anjouan n’ont certainement pas été coupés par la découverte de l’Amérique et que les flux par ces voies ont certainement durés jusqu’à la fin de l’empire Ottoman, 1918 ! Il est probable que les colonisations européennes, Anglaise, Française, Germanique, Espagnole, ou Portugaise ont sensiblement gêné ce trafic traditionnel au cours de la seconde partie du 19ème siècle…

        J’en arriverai à penser que le développement de l’emprise coloniale, par les nations européennes, sur les territoires africains fut une entrave certaine à l’expatriement des populations locales, jeunes, saines et pleines de vie.

        Il est vrai que l’esclavage ou le travail forcé ne furent plus éliminés. Mais, dans le contexte colonial, les potentats locaux perdirent de leur importance. On notera que la France ne négligea pas en certain lieu et à certaines époques de reconnaitre à des chefs coutumiers des positions assimilables à celles de préfets…

        A quoi sert ce bavardage ? Nous sommes indépendants !

        - Qu’est-ce que tu nous racontes là, le vieux blanc !

        - Mon frère, je veux te dire que tu as été esclave, trop longtemps ! Mais je veux te dire que tu as été réduit à l’esclave d’abord par un autre, pas par  celui dont on te raconte !

        - C’est quoi même, ce bavardage ?

        Quand j’ai eu seize ans, j’ai vécu le temps de votre indépendance. Moi, fils de petit colon, élevé avec vos frères dans les mêmes écoles, j’ai espéré que le temps été venu pour vous de saisir ce moment. Plus tôt, avec des camarades de classe, Mamadou Ndiaye (fils de Sénégalais émigré (déplacé ?) au Moyen Congo, avec un nom pareil ?), Bernard Paca (Congolais, lui), nous nous étions promis, d’aller en Afrique du Sud, libérer nos frères de l’Apartheid…

* *

*

        - Bon, on n’est plus colonisés, alors ?

        - Alors, rien n’a changé, vous êtes restés des esclaves que vos Rois de la côte, des ports et ou des aéroports vous vendent aux étrangers, cela ne vous fait rien ?

        Je vous dirai plus loin comment en une soirée de novembre 1982, j’ai eu l’espoir qu’après le Sénégal, le Cameroun entre enfin dans la cour incertaine des pays gérés, bon an mal an, par une démarche  démocratique.

        Illusion, illusion…

        Quand j’ai quitté le Cameroun, après avoir abdiqué mes fonctions de Directeur de la prestigieuse ENSPY, depuis un an, le pays était géré par son Excellence Paul Biya.  A l’heure où je m’attache à écrire ces lignes, trente-trois ans plus tard, il est semble-t-il toujours aux commandes…

        Ancien petit congolais, mon territoire, mon pays d’éducation, là où j’ai découvert la vie,  règne Sassou  Nguesso depuis fatigué…

        Pourquoi êtes-vous tous, enfants de ces pays, les complices de cet esclavage de maintenant ?

        Pourquoi laissez-vous indéfiniment des rois en place vendre vos ressources de demain au bénéfice de vos anciens tuteurs, lesquels achèteraient bien sûr ces mêmes ressources à toute autre autorité légitime de vos contrées…

        Pourquoi ne gérez-vous pas vous-même votre pétrole, vos minerais, vos forêts… ? Surtout depuis que je sais que sous vos cieux,  une forêt correctement gérée peut produire de quinze à vingt mètres cubes par hectare et par an ! A quoi cela sert-il de laisser exploiter la forêt primaire par d’autres ?

        Pourquoi… ?

        Mais, c’est une malédiction! Vous êtes vous-même vos propres esclavagistes. Ne faisant rien chez vous, vous vendez vos frères qui s’exilent vers ces contrées mythiques, Nan Mpoutou pour les congolais,  en Mbeng pour d’autres. Là-bas, chez les blancs, c’est mieux… C’est mieux, pour quoi ?

        Vos vieux dictateurs vous vendent aux rapaces de l’extérieur qui à toutes époques ont su flairer les marchés succulents.

        Mais, enfin je délire, voilà que je dis tout haut ce qu’il ne convient pas de penser ici, ou au-delà de la méditerranée.

        Pour résumer, selon moi, l’Afrique, les africains furent depuis toujours les victimes de leur frères. Invoquer le rôle des autres, est pour les endormeurs de conscience la voie de la tranquillité, celle qui permet aux dictatures de perdurer.

        Je dois me tromper, je me crois noir, mais à coup sûr je reste blanc…       

* *

*

        Vous m’excuserez de ces délires inconsidérés.  Normalement, on ne dit pas, on n’écrit pas ce que l’on pense. On se préoccupe de ce qui peut être dit !...

        J’ai vécu à Yaoundé ces deux ou trois journées de novembre 1982, au cours desquelles des naïfs de mon espèce ont imaginé qu’enfin le Cameroun, à la suite du Sénégal, allait montrer aux autres pays frères africains le chemin d’un développement  libre et moderne, dans l’espace international…

 

        Dans mon lointain souvenir, nous sommes en fin d’après-midi, en fin de semaine ou presque ; après vérification nous sommes probablement un jeudi, la nuit est tombée depuis peu.    Tiens ! Nous sommes confortablement installés chez celui que vous connaissez déjà, Philippe Duquesnel,… Le whisky est bon, les épouses bavardent, Philippe aussi, la radio, Radio Cameroun, distille quelques musiques de quartier, un macossa… Soudain ce fond sonore est anormalement interrompu par une information de dernière minute.

        - Son Excellence le  Président Ahidjo s’adresse à la nation… Et là, pétrifiés, nous apprenons

 

 

« Camerounaises, Camerounais, mes chers compatriotes. J’ai décidé de démissionner de mes fonctions de président de la République du Cameroun. Cette décision prendra effet le samedi 6 Novembre 1982 à 10 heures... J’invite toutes les Camerounaises et tous les camerounais à accorder sans réserve leur confiance, et à apporter leur concours à mon successeur constitutionnel M. Paul Biya. »

 

        Très courte allocution et puis rideau… Nous restons pétrifiés…

        Chacun se met à moudre cette incroyable information.

        Nous rentrons prématurément à Tsinga. Les rues sur ce trajet nous surprennent, elles sont noires, obscures, désertes…

        Aucun de ces mille et un vendeurs qui bordent habituellement chacune des avenues n’est là, les échoppes au-delà des trottoirs sont, elles aussi, sans lumière. Yaoundé est ce soir un désert…  

        Le lendemain, le calme et la sérénité n’étaient pas revenus sur la cité. En effet, lorsque dans une ville africaine, en milieu de matinée, les rues sont aussi animées que celles de Neuilly sur Seine un jour de semaine, alors c’est que les gens se cachent, que la peur flotte sur la population. Et, cette peur est exceptionnellement contagieuse.

        Exceptionnellement, j’ai pris l’initiative de conduire ma petite Marion à l’école, au Petit Fustel qui est niché au pied de l’Ambassade de France. Là, paradoxalement règne une animation certaine, la ruche est en ébullition, les parents  sont fermement engagés à reprendre leurs enfants et à se cloitrer chacun en son domicile. Le Chef de la Mission est personnellement au charbon. Il passe énergiquement les consignes.

        - Toi, tu passes les consignes à tes enseignants coopérants, et vos adolescents vous les faites rentrer impérativement,… Personne ne doit trainer dans les rues…

        - Bien, Chef !

        Dès que la situation locale subit, comme en cette occasion, une tension particulière, la communauté des blancs se cristallise et pas uniquement celle des expatriés coopérants français, les autres nationalités aussi. Chacun se sent mobilisé, à la recherche des instructions pouvant venir de nos ambassades respectives…

        N’oublions pas que nous sommes en 1982 et dans les esprits les évènements d’Entebe (juillet 1976) ou de Kolwesi (Mai 1978) ne sont pas si lointains.

        Dans le cas qui nous occupe, le départ annoncé d’Amadou Ahidjo fut un facteur d’inquiétude particulier, en effet, l’autorité reconnue du vieux sur son peuple était, pour les expatriés, rassurante. La première question qui nous vint : que va faire, comment va s’y prendre « Le Paul » ?

        Qui, parmi nous, aurait pensé que trente-quatre ans plus tard il serait toujours aux manettes ?

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