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Mes souvenirs à partager: une jeunesse en Afrique Equatoriale Française AEF, Une vie de famille, et la suite...

Tome 3 : (DAI) Chapitre 4 La vie au jour le jour à Yaoundé

Une porte de case de la chefferie de Bafoussam

Une porte de case de la chefferie de Bafoussam

Où et comment loger la famille ?

Ceci est une fausse question, car, en principe, un logement de fonction est mis à la disposition du directeur de l’Ecole Polytechnique par les autorités camerounaises. Oui, mais compte tenu de ce qui précède, vous avez compris que le logement de fonction, la case du Directeur à Tsinga est squattée par la famille du précédent directeur…

Donc à leur arrivée, au début des congés de Noël 1980,  ma famille, à savoir mes trois empereurs Frédéric (16 ans), Guillaume (15 ans) et Alexandre (12 ans), ma fille préférée Marion (8 ans) et ma précieuse épouse Béatrice (xxxxx ans (censuré)) sont logés au Palace du Mont Fébé, dont je vous ai déjà parlé.

Pour différentes raisons, dont certaines ont été évoquées plus haut, je ne souhaite pas que leur séjour au Fébé soit prolongé au-delà des vacances de Noël. Je ne souhaite pas que mes adolescents s’assimilent d’une quelconque façon aux familles d’expatriés qui, en situation de transit entrant ou sortant, peuplent le Mont Fébé. Je  souhaite qu’ils s’intègrent le plus rapidement aux réalités de la vie urbaine sans être à la merci des transports (taxis)… Très vite, ma décision est prise, nous allons migrer vers un hôtel proche du lycée Fustel de Coulanges, mon choix se porte sur l’Hôtel Indépendance.

Dans les tous premiers jours de Janvier 1981, nous occupons trois chambres à l’Indépendance… Les trois fils peuvent rejoindre à pied, via la place de la Mairie, le Grand Fustel. Quant à Marion, Béatrice pourra la convoyer vers le Petit Fustel, niché aux pieds de l’Ambassade de France.

Quelques semaines plus tard, un appartement géré par l’université fut mis à notre disposition. Situé sur l’avenue J. Ngu Foncha qui relie Tsinga au marché de Madagascar-Mokolo, cet appartement est situé au premier étage d’un petit immeuble proche d’un dépôt des brasseries.

Nous avons vécu dans cet appartement la fin de l’année académique 1980-81. Bien que remis à la disposition de son administration d’origine, à savoir la France, la famille de mon collègue Claude Marty a continué d’occuper la « Case du directeur » toute l’année universitaire… Radio trottoir laissait entendre avec insistance que le Ministre Ndam Njoya assurait une protection vigilante sur Madame… Cela n’était certainement pas vrai, car jamais confirmé par Radio Cameroun !

Dès ce printemps, à l’appartement, un nouveau personnage intègre la famille. Il s’agit d’André. André à ce stade est notre boy-cuisinier. Il s’occupe de tout. Je ne pense pas qu’au cours des premiers mois, à l’appartement, il ait eu un quelconque adjoint. Nous verrons combien ce personnage prendra une place dans notre vie, jusqu’à devenir « Mon Père » ! Derrière cet aveu, il convient que les « blancs » fassent un énorme effort d’imagination pour comprendre lorsqu’un peu plus tard, moi « Daniel Guitard », je vais renaitre  dans une famille Eton, près de Saa, pour éteindre une vulgaire guerre de bornage. Mais, cela est une histoire que je ne peux vous compter que plus tard, lorsque nous serons « intégrés » !

Ce n’est qu’en septembre 1981 que la famille Guitard va intégrer la « Case du Directeur » à Tsinga, enfin libérée de ses occupants Marty ! Nous reviendrons à cette merveilleuse case et à son intéressant environnement.

J’utilise assez souvent la notion de « Case » en lieu et place de « Maison », je ne suis pas sûr que cette dénomination soit partagée par mes collègues expatriés. Il s’agit une mienne tradition de langage. Sous ces cieux, on habite une Case ! Cela me vient du fond de mon enfance… On pourrait dire « Villa », ce serait plus conforme à l’image que tout un chacun peut se faire de ces logements.

Attention aux animaux!

Attention aux animaux!

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 *

        Que faire pour prendre le poult de l’Ecole, comment m’intégrer, comment me faire une, des idées, de cet établissement autrement que par les on-dit ?

        Une première intrusion de ma part fut de m’insinuer au fond de quelques classes, ou amphis, pour écouter certains cours. Quel est le modus operandi de tel ou tel de mes collègues ?

        La première observation fut le constat du très haut niveau  de nos étudiants attesté par la pertinence de chacune de leurs interventions.

        La seconde observation fut la disparité de la qualité des prestations pédagogiques de nos collègues, notamment, des enseignants âgés en regard de celles des plus jeunes. Me revient, au moment d’écrire ces lignes, le souvenir d’une prestation du professeur Folifack, dictant son cours, en précisant les ponctuations, les surlignages, la couleur de ces surlignages… exigeant de son auditoire un silence religieux. C’était cela aussi la pédagogie à Polytech !

        Sans avoir indument pénétré certains de ces enseignements je n’aurais pu en imaginer la réalité, dans sa diversité.

        L’évidence pour moi fut que les soixante-quinze à quatre-vingt élèves ingénieurs recrutés chaque année étaient du plus haut niveau. La rigueur des conditions du concours de recrutement est garante de cette qualité. Très vite ma conviction est faite, l’organisation du concours d’entrée à l’ENSPY est la tâche essentielle du Directeur, sans délégation possible.

        Nous sommes à la mi-janvier, les sujets des épreuves devront être prêts début Mai, disponibles pour le concours, début juin… Il y a urgence !


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*

 

4.1- Organisation du Concours de l’ENSPY

Très vite est constitué et réuni le comité de préparation des épreuves du concours, en référence aux pratiques antérieures. Constatant le poids de la suspicion dans les pratiques habituelles, j’en accepte les obligations en les verrouillant selon mes propres critères.

- Chaque épreuve sera préparée par un duo, voire un trio d’enseignants, mais toujours doublée de telle sorte que le sujet retenu sera inconnu.

- Chacune de ces épreuves sera testée par moi, pour m’assurer de leur faisabilité et de leur pertinence du sujet proposé.

Je n’en veux pour témoin que Monsieur l’actuel Recteur de l’Université de Dschang, Anaclet Fomethé qui fut alors, en cette démarche, un puissant allié.

De quoi s’agissait-il :

- Vis à vis des candidats garantir l’intégrité du concours ;

- En gardant le secret du contenu des épreuves être, à mes yeux, l’unique garant de l’honnêteté du recrutement. Pour avouer le vrai, cela n’a pas été si facile de passer avec succès les épreuves du concours 1981. Que l’on se rassure, je n’ai retenu que les sujets d’épreuves qui m’avaient souri.

Mais, que faire de l’édition des sujets des différentes épreuves du concours avant leur expédition vers les sept centres d’examens provinciaux ? Elle est confinée dans deux cantines métalliques prudemment glissées sous les couches de tel ou tel des enfants du directeur, dans l’appartement, cette première fois.

Vous avez ici un raccourci de cette prudente organisation du concours, de la difficile lutte contre la « triche ». Mon problème était, dans cette démarche prudente, de protéger chacun de mes collègues, de leur éviter la possibilité d’être vulnérables à un quelconque chantage.

Dès les premiers mois de ma prise de fonction, j’ai cru comprendre que le monde en Afrique, mais ici en particulier, ne se voit pas à travers la simple analyse de l’intellect « blanc » !

J’héritais, à ce stade, d’un corpus du concours qui comprenait des épreuves scientifiques, bien sûr. Mais aussi, plus surprenant pour moi, des épreuves à caractère psychotechnique qui se sont révélées fort utiles, notamment, pour le travail de classement final à l’issue des épreuves orales.

C’est à cette occasion que j’ai découvert la panoplie de vacataires qui contribuait au fonctionnement de l’école et pas uniquement à l’occasion du concours.

Hommages soient rendus aux concepteurs et fondateurs de cet établissement.

* *

 *

Le concours, opération nationale.

Compte tenu des usages, je constate que l’organisation des épreuves écrites du concours de recrutement sont géographiquement réparties, non nécessairement en considération du potentiel en candidats, mais dans le respect d’un affichage géographique…

Les centres de concours sont :

- Yaoundé, Centre Sud, (la maison mère)

- Douala, Littoral, (Capitale économique…)

- Bafoussam, Ouest

- Maroua, Nord

- N’Gaoundéré, Adamaoua

- Berthoua, Est

- Tiens, il en manque un centre ! Bamenda, peut-être ?

Or, J’ai très vite compris que 80% des étudiants recrutés dans les promotions précédentes sont originaires d’une même ethnie !....

Un duo, enseignant-administratif est expédié vers chacun des centres de concours pour mettre en œuvre les épreuves écrites… Après une analyse méticuleuse, il m’est apparu que ces couples étaient constitués de façon à être parfaitement étrangers (ethniquement parlant) à la région où ils allaient opérer…

Les épreuves se déroulent…

Les copies sont acheminées vers Yaoundé, et un groupe restreint, présidé par le Directeur, procède à l’anonymat des copies et à leur redistribution pour correction…

Notons que pendant cette très longue période des corrections (huit à dix jours) le directeur est submergé par des appels téléphoniques de sympathie de tel ou tel notable ou autorité, désireux de savoir où en est la candidature de ce fils, neveu, où petit cousin qui espère …

Enfin la collation des notes s’effectue dans le plus grand secret et ne reste plus aux quelques membres de l’ultime commission à établir la liste des résultats d’admissibilité…

Interdiction est faite à toute prise de note, car les résultats définitifs de l’admissibilité de saurait être promulgués qu’après visa par le ministre.

Promulgation de l’admissibilité au concours

Là commence le parcours du combattant du Directeur de Polytech !

Je me présente donc avec la liste d’admissibilité auprès du Recteur de l’Université.

Le Sphinx fait la moue :

- le ministre nous reçoit dans la demi-heure…

Il s’agit de Monsieur le Ministre Ze Nguele (Originaire de l’Est, Bertoua), qui va recevoir le Recteur (originaire du Sud) qui accompagne le Directeur (un Blanc). (Je n’ai jamais su, si nous les blancs étions différentiés, ou si nous étions membres d’une seule et unique ethnie…). Lecture approfondie de cette liste d’admissibilité par le Ministre, lourd silence, puis réaction un peu brutale…

- Il est difficile de comprendre cette proposition ! Votre Secrétaire Général a-t-il pris connaissance de ces résultats ?

- Pas spécialement, il s’agit des conclusions de la commission.

- Il faut revoir cette liste. Vous ne pouvez pas diffuser ces résultats.

Il me faut alors abattre mes derniers atouts… - Monsieur le Ministre, puis-je solliciter votre secrétariat pour deux contre-ordres urgents, l’un à Radio Cameroun, l’autre à Cameroun Tribune afin de sursoir à la diffusion de la liste des admissibilités ?

- Comment, ils ont ces listes ?

- Sous plis cachetés, Monsieur le ministre !

Voilà comment en juillet 81, ou 82 je ne sais plus, j’ai pu m’affranchir d’une sérieuse censure de la part du ministre de l’enseignement supérieur.

Explication de texte : Une nécessaire politique d’équilibrage ethnique oblige chaque ministère à ce que soient appliquées les règles qui doivent conduire l’état à une juste harmonisation de la représentation nationale (langue de bois réinventée…). Or, horreur, dans les listes d’admissibles au concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique de Yaoundé, 80% des candidats sont des Bamilékés… A quoi sert donc cet effort de recrutement géographique ? Ne recrute-t-on qu’à Bafoussam ? Ce nid de l’ethnie Bamiléké … Sommes-nous face à une réelle hégémonie ethnique ?

Attention, nous entrons ici dans une controverse difficile. Une première interprétation du phénomène est simpliste, les Bamilékés sont membres d’une ethnie supérieure !

Dans les faits, beaucoup étaye cette assertion ! Les enfants Bamiléké semblent douées, plus que les autres… Pour ne pas sombrer dans la facilité de ce simple constat, j’ai cherché, j’ai interrogé… En premier lieu, il semblerait que lorsqu’un Bamiléké, s’installe sous d’autres cieux et prend femme, ses enfants sont Bamilékés et leurs femmes le deviennent…

Plus douteux, mais non moins possible, j’ai oui dire que les femmes Bamilékés portent, moins que les autres, leurs enfants dans le dos… Ces éléments me suffisent pour conclure la conscience tranquille :

- La supériorité intellectuelle évidente des Bamilékés, à l’époque, résultait donc selon moi de leur éducation.

Mais de tout cela, qu’en était-il pour le Cameroun ? Dans mon coin, sans conseil extérieur, d’une année sur l’autre j’ai dû m’efforcer de comprendre ce que tout cela signifiait ! Des Ministres en poste, sont tributaires de la politique affichée. L’équilibrage ethnique ! Mon ministre, soucieux de remplir ses obligations m’interpelle :

- Monsieur le Directeur, il convient de changer les textes qui régissent votre établissement. Faites-moi parvenir ceux-ci au plus vite…

J’ai alors porté mon attention sur les textes régissant l’établissement dont j’étais en charge.

Oh ! Surprise ! Aucune allusion n’y était faite au ministre. Seul le chef de l’état avait compétence…

Je n’ai donc jamais envoyé les textes au ministre et personne n’en a fait réclamation. J’ai alors compris être, en tant que Directeur de Polytech, hors hiérarchie…

En conclusion, le nécessaire équilibrage ethnique des recrutements au sein de l’école polytechnique n’a jamais été appliqué sous mon autorité, nous devions avec les meilleurs former les meilleurs ingénieurs pour le Cameroun.

En juillet 81, ou 82, j’ai quitté en urgence le cabinet ministériel pour sauter dans l’avion qui devait me conduire en Europe pour les congés. Les deux fois, ma famille avait déjà embarquée, alors que je transpirais encore dans le bureau du Ministre.

En juillet 83, j’ai échappé à cette séance de torture, en effet le Recteur et le Ministre étaient tous deux en mission à l’étranger…

* *

*

Le problème ethnique du recrutement

Ce passage relatif au problème du recrutement des élèves ingénieurs à l’ENSPY, fut pour moi une interrogation permanente.

Quel est le problème ? Suite à un recrutement sélectif, probablement dans tous les domaines scientifiques, littéraires ou autres, les résultats conduisent à l’époque à une anomalie statistique. Il en découle invariablement un déséquilibre ethnique. Les Bamilékés sont surreprésentés et de loin.

Sans entrer dans une quelconque analyse qui permette d’élucider cette différence, le problème pour l’état est de gérer l’évolution de ce déséquilibre éminemment dangereux pour la société et d’adopter les solutions politiques qui permettent de le compenser.

La solution de « l’équilibrage ethnique » est politiquement adoptée. Elle consiste pour toutes les administrations à contrôler les quotas de recrutement en considération des origines provinciales des candidats. Je viens d’écrire « provinciale », le terme est quasi immédiatement rendu caduque du fait que dans tous, ou presque, les centres régionaux de concours, ce sont des candidatures Bamiléké qui émergent.

Je l’ai dit plus haut, les Bamilékés, depuis leur foyer de base de l’Ouest, par le commerce diffusent partout dans le pays, épousent de solides génitrices qui deviennent elles même des Bam’s et pondent une progéniture qui est élevée en Bam’s…

Bien sûr, tout ce qui est écrit ici n’est qu’une maladroite interprétation d’un petit « Blanc »…

Quel est la situation de l’ENSPY ?

A l’époque, l’école recrute chaque année :

- 25 élèves ingénieurs dans les filières dites formations longues (Bac+5) ;

- 45 élèves Ingénieurs des travaux, dans les filières dites formations courtes (Bac +3).

En conséquence, 70 élèves ingénieurs sont donc annuellement recrutés par un concours que j’affirme, sous ma direction, parfaitement intègre, exempt d’équilibrage ethnique, ceci sur une population camerounaise alors voisine de sept millions d’âmes. Cette élite scientifique et technique a selon moi vocation à représenter en tous lieux le pays, face aux ingénieurs, aux rapaces, mandataires de tous ces pays généreux, désireux d’assurer le devenir beat du Cameroun !...

Je me suis persuadé que le chef de l’état, Amadou Ahidjo, voulait doter le pays d’une cohorte d’excellence ayant pour vocation essentielle de faire le contrepoids aux invasions barbares (au néocolonialisme ?!) et donc ceci dans l’indifférence des particularités ethniques.

Dans les mois qui suivirent, à l’occasion des différents conseils de l’Université, j’ai dû m’habituer à mon statut singulier d’être le seul doyen blanc !

On évoquait, « from time to time », le cas de l’ESIJ dont le directeur fondateur avait été un journaliste français célèbre, Hervé Bourges. Mais seul le Directeur de l’ENSPY est étranger, français, Blanc !

Comme je l’ai évoqué plus haut, les textes qui régissent notre école ne placent pas l’ENSPY sous l’autorité du Recteur Chancelier de l’Université, ni même sous celle de Monsieur le Ministre en charge de l’Enseignement Supérieur. J’en conclu que seul le Chef de l’Etat a autorité pour faire évoluer le statut de notre établissement. Sachant que lors de ma nomination en décembre 1980 et depuis, en de très rares occasions, de discrets émissaires avaient su me faire passer quelques messages d’encouragement, j’ai finalement décidé de ne pas donner suite à l’injonction du Ministre Ze Nguele de lui soumettre pour modification les textes régissant l’école. J’ai enterré ce débat et la chose n’a jamais été à nouveau soulevée.

J’ai continué à essayer de faire avec le meilleur recrutement, les meilleurs Ingénieurs. Je reviendrai sur ce point …

* *

*

 

 

Les notables Bamilékés se présentant aux peuple...!

Les notables Bamilékés se présentant aux peuple...!

Les enseignants de l’ENSPY

Le corps enseignant intervenant dans la formation des élèves ingénieurs est disparate, multiple et nombreux… Si en matière de formation la diversité est souvent une source d’enrichissement et d’originalité, il convient tout de même de la gérer avec une certaine cohérence…

Une bonne centaine de personnes interviennent à des titres divers.

Le corps des enseignants-chercheurs camerounais affectés à l’école représente alors une grosse trentaine d’individus, assistants et maîtres-assistants (chargés de cours), titulaires ou en voie de titularisation…

Parmi eux, pas de professeur de rang magistral susceptible de développer et d’encadrer de la Recherche et par là même de contribuer à la formation permanente des enseignants.

Vingt-quatre coopérants français étaient alors mis à la disposition de l’école.

Parmi ceux-ci :

- Deux Professeurs des Universités (moi compris) ;

- Une escouade de cinq ou six Professeurs de l’enseignement technique (ou équivalents) aptes à dispenser les enseignements de technologie et d’encadrer les travaux pratiques d’Atelier de Mécanique notamment ;

- La quinzaine de contractuels restante occupait des fonctions de « Chargés de cours » dans les différents domaines scientifiques.

Cette grosse cinquantaine d’enseignants titulaires de l’ENSPY était complétée par une grosse cinquantaine d’intervenants extérieurs, ingénieurs et cadres des administrations camerounaises ou des industries, sollicités pour leurs compétences spécifiques.

* *

*

Aux environs de Pâques 1981, trois ou quatre mois après ma prise de fonction, j’étais en mesure de faire un premier point quant aux objectifs à atteindre dans cette école d’ingénieurs.

A l’opposé de mon prédécesseur qui affirmait alors, haut et fort, que ce dont avait besoin le Cameroun était une formation technologique puissante d’Ingénieurs des travaux (Bac+3) ; d’un super IUT, J’étais maintenant convaincu que ce dont avaient besoin les administrations camerounaises, ainsi que le tissu industriel du pays, c’était d’une cohorte puissante d’ingénieurs nationaux, aptes à rivaliser avec leurs équivalents européens notamment formés dans les meilleures écoles françaises.

Une telle ambition, à savoir former, à partir des meilleures recrues, les meilleurs ingénieurs, implique un certain nombre d’options dans la politique de l’école.

Il convenait donc :

- d’assurer le sérieux du recrutement des élèves ingénieurs. Ceci a été évoqué plus haut ;

- de consolider les compétences scientifiques et techniques du corps enseignant ;

- de convaincre à l’interne et à l’externe de l’excellence de l’Ecole Polytechnique de Yaoundé.

- …

et tout ce qui viendra et qui n’est pas alors révélé.

* *

*

A l’époque, 1980, aucun laboratoire de Recherche reconnu n’est associé à l’ENSPY. Des efforts embryonnaires sont mis en œuvre dans certains secteurs par de rares collègues aux compétences requises.

Fédérée par le Docteur Alain Degiovanni, Ingénieur de l’INSA de Lyon, une petite équipe s’est constituée autour des problèmes d’énergétique. Alain avait eu l’intelligence de concrétiser ses thèmes de Recherche en vue de répondre à des besoins concrets des populations.

Je me souviens d’un programme portant sur la réalisation de digesteurs de déchets végétaux en vue de la production de gaz combustible. Les digesteurs expérimentaux étaient implantés au sein d’un petit village situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Yaoundé sur la route de Mbalmayo, Nsimalen.

Alain avait fait un important travail psychologique auprès du chef de village afin que les villageois soient concrètement associés au projet. Dans la pratique, femmes et hommes se devaient de mobiliser l’ensemble des déchets végétaux de cuisine, de nettoyage des alentours des maisons et des champs voisins qui alimentaient les digesteurs. Quelques individus se devaient d’assurer le contrôle du fonctionnement journalier, afin d’alimenter les gazinières installées dans les cases des femmes de plusieurs familles…

Le plus difficile ne fut pas forcément de produire du gaz dans les meilleures conditions, en revanche convaincre les ménagères d’adopter la gazinière au dépend des foyers traditionnels…

Une première conclusion à ces études fut de souligner la nécessaire interdisciplinarité qui doit accompagner un programme de recherche devant se développer en relation avec les populations.

Quelques années, dizaine d’années, plus tard, je n’ai pu retrouver ce petit village, lieu des exploits d’Alain Degivanni et de son acolyte d’alors, Denis Maillet. Il avait disparu sous les pistes de l’actuel Aérodrome International de Yaoundé-Nsimalen…

* *

*

Très vite, je constate que mon école n’est pas hautement considérée sur le plan académique, au sein de l’établissement, de l’Université de Yaoundé. Des raisons de forme, à coup sûr, mais aussi de fond justifient cette appréciation quelque peu négative que portent sur nous nos collègues des facultés, de la Faculté des Sciences notamment…

S’agissant de la forme, je trouve au fond de l’un des tiroirs de mon bureau directorial des photos d’une précédente Rentrée officielles de l’Université.

La double référence, aux traditions académiques françaises mais aussi britanniques, fait que les cérémonies officielles de l’Université se déroulent en habit. Les enseignants revêtent la toge, la coiffe et les insignes…

Sur les photos incidemment découvertes, les enseignants de l’école, notamment le contingent de coopérants français, apparaissent avec des toges mal ajustées ; les coiffes sont le plus souvent absentes ; quant aux insignes des grades universitaires, ces douces hermines qui barrent l’épitoge, point. Pourtant ils sont tous Bachelier (une hermine), presque tous Licencier (deux hermines) et nombreux tout de même sont les Docteurs (trois hermines)…

L’image de l’école donnée par cette cohorte quasiment en guenilles ne plaide pas pour l’affirmation d’un haut niveau de compétence.

Mais il ne s’agit là que de la forme !, diront certains.

Oui, mais aux yeux de ceux qui ne sont pas aptes à juger du fond, la forme seule étaye le témoignage.

C’est encore Claude Bonthoux, ancien Directeur-fondateur qui m’a fait parvenir la nécessaire épitoge.

Quant au fond, la quasi absence de laboratoires de recherche au sein de l’école susceptibles d’enrôler les enseignants en interne et la non-participation de ceux-ci aux autres éventuels laboratoires de l’université font que sur le plan scientifique, à moyen terme, le corps enseignant de l’école est dans une situation extrêmement grave.

Faute d’une non-activité de formation continue à travers la pratique de travaux de recherche, le corps enseignant de l’école est condamné à terme à une perte de compétence.

Du point de vue du responsable de l’école que je suis, cet état de fait a des conséquences diverses en fonction des populations d’enseignants considérées.

Les enseignants vacataires, qu’ils soient Camerounais, expatriés Français, ou autres, recrutés annuellement pour leurs compétences, ils ne sont pas concernés par le problème.

Les enseignants coopérants Français sont, quant à eux, sous contrat avec le Ministère Français de la Coopération pour une durée de deux ans, renouvelable deux fois, je crois me souvenir. Les situations de ces coopérants français sont multiples et variées :

L’Ingénieur ou cadre, ayant compétences et titres requis souscrit un le contrat de coopérant, si le temps passant il venait à perdre les dites compétences, le contrat ne serait pas renouvelé...

Il convient d’inclure dans cette catégorie un certain nombre de candidats ayant été accueillis, à l’occasion de leur premier contrat, au titre des obligations militaires ; coopérants militaires pendant la durée légale du service, le contrat est prolongé à deux ans à titre civil, au-delà de la durée légale (ADL).

Certains, avant d’effectuer leur temps de service national, avaient été sursitaires avant leur engagement en coopération, afin de terminer, par exemple, leur formation en école d’ingénieurs (BAC+5); d’autres avaient bénéficié d’une prolongation de sursis pour préparer un doctorat (BAC+8) et ainsi acquérir une sérieuse expérience de pratique de la Recherche.

L’un des objectifs, plus ou moins lointains, de ces derniers pouvait être de postuler dans telle ou telle université françaises à des postes d’enseignants-chercheurs en vue d’intégrer l’Enseignement Supérieur Français. Pour ceux-là, notamment, il était important d’enrichir leur dossier pédagogique et scientifique en vue de candidatures futures…

Pour le chef d’établissement, la perte de compétence de l’un ou l’autre des enseignants coopérants n’est donc pas un problème majeur, il suffit en effet de donner un avis défavorable à la demande de renouvellement du contrat.

Les enseignants camerounais sont quant à eux titulaires d’un Doctorat, oui, mais lequel ?

Nous retrouvons ici la complexité supplémentaire induite par la double appartenance aux mondes universitaires Français et Britannique ;

Le candidat camerounais à un poste d’enseignant à l’Université de Yaoundé, de retour au pays, peut être titulaire de l’un des doctorats délivrés par une université française : un Doctorat de 3ème cycle, un titre d’Ingénieur-docteur et plus rarement d’un Doctorat d’Etat ou d’une Habilitation à Diriger les Recherches (HDR) ; de retour d’une université du Commonwealth, il peut tout simplement être titulaire d’un PhD.

Les délibérations du Conseil de l’Université de Yaoundé conduisent à un recrutement du candidat à l’une quelconque des fonctions académiques Assistant, Chargé de Cours, Maître de Conférences, Professeur.

Les assistants étaient recrutés, je crois me souvenir, sous un contrat de 3 ans, charge à eux de faire évoluer leur dossier scientifique afin de postuler à échéance, dans les meilleures conditions, aux fonctions de Chargés de Cours…

Une fois titularisés, les enseignants sont en principe attachés à l’école… S’ils laissent leurs compétences se dégrader, ce sont les compétences de l’établissement qui se dégradent… C’est là, le point important, celui de la formation continue des enseignants camerounais pour le devenir de l’école.

Comment avons-nous, collectivement, tenté de répondre à ce besoin important de l’école ? Nous essayerons de le dire dans le prochain chapitre…

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