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Mes souvenirs à partager: une jeunesse en Afrique Equatoriale Française AEF, Une vie de famille, et la suite...

Tome 1 : (UJA) Chapitre 13 : La fin de la fin ...

Chapitre 13

La fin de la fin d’un Paradis

Plus que six mois avant la fin de ce séjour. Je vais terminer la classe de Première Moderne (privé de latin !) avec le Premier Bac comme conclusion. L’an prochain je ne reviendrai pas. Il est convenu que je resterai en France pour la classe de Terminale…

Le fonctionnement ordinaire comme décrit plus haut continue. Peu de chose se passent ici en ce début de premier trimestre 1959. L’insouciance qui caractérise notre vie d’adolescents, nous protège des rumeurs qui grondent.

Au loin, en Algérie, le maintien de l’ordre, comme l’on dit aux actualités de notre séance de cinéma hebdomadaire, nécessite de plus en plus d’hommes casqués, de chars, d’hélicoptères… On est si loin de cela ! Et pourtant …

Les rumeurs d’autonomie dans le cadre de l’ « Union Française », se discutent ; des assemblées représentatives ont été élues dans les différents territoires qui préfigurent les futurs nouveaux pays.

Nous avons même un Président du Moyen Congo. Il s’agit de l’Abbé Fulber Youlou. On se souvient que c’était pour moi un personnage connu. Il était, je crois me souvenir, quelques années auparavant en « pénitence » à la mission de Kinkala. Il avait comme beaucoup de prêtres africains des difficultés avec le vœu de chasteté ; en ce qui le concernait il ne s’agissait pas d’homosexualité mais plutôt d’une propension à la polygamie ; heureusement, n’étant pas par principe marié, il ne pouvait s’agir de ce délit !

A franchement parler, en ce premier trimestre de 1959, tout était pour nous tranquille, c’était encore le Paradis…

* *

*

Un matin, ayant enfourché ma Vespa, depuis Mpila vers le lycée en direction du plateau, j’ai le sentiment étrange d’une ambiance bizarre. Les rues sont désertes, la ville blanche est morte !

En passant près de la gare, par le travers de la rue venant de Poto-poto (ville africaine de la plaine), j’observe que le passage à niveau qui barre cette rue est fermé et qu’un piquet policier contrôle le passage des piétons africains et, chose étrange, ceux qui passent vers la ville blanche portent soit autour de la tête ou autour du bras un bout de chiffon blanc… Ils sont marqués ! Voilà l’idée qui m’est directement venue. Plus loin, en progressant vers le plateau, j’ai encore la sensation d’une anomalie : les africains qui montent vers le plateau sont ornés de cette flamme blanche, en revanche ceux qui descendent du plateau n’ont pas de marque distinctive…

Je passe la Paroisse Saint François, la paroisse où j’ai vécu sept ou huit tôt mes premières expériences de scoutisme, et j’atteins l’embranchement qui sépare la route du Djoué de la route menant au village africain du plateau « Bacongo ». C’est au niveau de cet embranchement qu’est situé le lycée Savorgnan de Brazza. Sur la branche menant vers la case de Gaulle, vers Bacongo, là encore, de loin, je peux voir un filtre. Les noirs sortant de Bacongo n’ont pas de marque, tandis que ceux qui y rentrent sont porteurs de d’un flot blanc…

Pour ma part je rejoins le lycée et, à ma grande surprise, je constate que nous sommes très peu nombreux. Le proviseur assemble dans la cour les quelques élèves présents et nous prescrit de rentrer directement chez nous, en effet des troubles dans les villages sont intervenus et pour des raisons de sécurité il nous enjoint de rentrer…

La journée qui suit est confuse, Des informations circulent immédiatement suivies de leur contraire tout aussi péremptoire. En fait, très rapidement nous constatons que l’on ne sait rien de rien, mais qu’il y a quelque chose.

Le repas du soir est pris dans une ambiance inquiète, point de sortie, le chemin du lit nous est impérativement montré… Donc, dans la chambre, chacun retrouve ses activités intimes. A l’époque et en ces lieux point de radio attractive, la télévision n’existe pas et restent les occupations habituelles : revoir tel ou tel cours, le baccalauréat se profile, et/ou consacrer à la lecture. J’avais à cette époque une collection de petits livres « Marabout Junior » qui me facilitait les évasions sous d’autres cieux à d’autres époques.

En milieu de nuit, réveil brutal, Yvonne ma mère me secoue.

  • Daniel, Daniel ! Lèves toi, ton père dort, il ne veut rien faire…
  • Beuh… J’ai sommeil !
  • Lèves toi, viens voir, ils brulent tout…

Maman a relevé le volet de l’une des fenêtres de notre chambre et me montre les nuées qui s’élèvent au dessus du village voisin (village veut dire ville africaine. Il s’agit à l’époque d’un village de plus de cinquante mille habitants). Au-delà de la Petite Vitesse (gare de marchandise) nous savons, sans l’avoir jamais vu, que se trouve une excroissance vers le fleuve de la ville africaine de Poto-poto. Dans cette direction la nuit noire est trahie par un immense brasier qui illumine cette portion du ciel.

  • Ils s’entretuent, ils sont fous… De tout cela, au début, je ne comprends pas grand-chose. Ma mère crie contre ceci et contre cela et pendant ce temps là, mon Père dort.
  • Il est encore soûl comme un polonais !

Je sais Papa être un grand amateur du pichet de rouge ! Je retourne me coucher sous le regard désapprobateur de Maman qui voudrait que, quoi… Il n’y a rien à faire : Attendre et voir. C’est tout…

 * *

*

Le lendemain nous restons à la maison. Les nouvelles du dehors sont mauvaises, il s’agit du bouche à oreille, mais tout de même…

Tout ce qui se dit converge.

Selon ma mère :

- ils sont fous ! Ils s’entretuent…

Selon d’autres sources :

- Ceux du Nord (Mbochi) et ceux du Sud (Lari), dans le cadre d’une animation interethnique, sont effectivement en train de se massacrer.

Au-delà de la rigolade, le lendemain de ce second jour le bruit a couru que 1500 morts à l’arme blanche (déjà les machettes !) ont étés décomptés. L’hôpital de Brazza est envahi de blessés et de cadavres. Cinq centimètres de sang recouvrent les sols de l’hôpital…

Ce soir du deuxième jour, la maison est à peu prêt calme, inquiète. Nous avons passé un moment presque tranquille au cours d’un repas préparé comme d’habitude par le cuisinier et servi par le boy Joseph. Maman nous dit que, compte tenu de l’insécurité qui règne au village, elle a pris l’initiative de recommander au boy, ainsi qu’au cuisinier, de faire venir sur la concession chacune des deux familles; pensant ainsi les mettre à l’abri de la folie collective qui a gagné les villages.

Repas pris, chacun retourne sous sa moustiquaire, pour une nouvelle nuit d’attente et d’inquiétude…

Une nouvelle fois, Maman me réveille.

  • Lèves toi, Daniel ! Vient voir tout cela brule…

Maman a franchi le bord de la fenêtre et se tient sur la margelle qui fait le tour de la maison au niveau du premier étage. Elle me désigne la direction de ce que nous appelons la Petite Vitesse, tout le ciel est embrasé.

  • Ça brule, tout le village brule !

Maman monte une garde sévère, elle est armée jusqu’aux dents, elle brandit notamment un lourd pistolet que je n’avais jusqu’alors jamais vu.

  • Tout cela est bien beau, mais moi j’ai sommeil. Je retourne me coucher.

Devinez ce que Louis fait pendant tout ce temps, il dort, au grand dam de ma mère.

Vers six heures du matin, le jour est en train de poindre, je suis éveillé par des rumeurs, des cris, Que se passe t-il ?

  • Daniel, viens, viens m’aider. Ils vont se tuer, vite !

Ce qui se passe, en d’autres occasions, serait de nature à déclencher une gigantesque rigolade. Les deux familles, du boy et du cuisinier, venues se réfugier par sécurité sur la concession étaient sur le point de s’étriper. Les deux clans furent vivement séparés par la brulante Calamity Jane.

Explication : le boy était du Nord, le cuisinier du Sud, le peur, les uns et des autres, les poussait à s’entretuer.

C’est cette fois là que j’ai cru comprendre quel était le moteur de cette cruauté, de cette violence aveugle, dont étaient soupçonnés les noirs. Ils peuvent s’exterminer, se découper à la machette, il faut tuer l’autre de peur qu’il ne le fasse. C’est la peur qui le plus souvent préside aux évènements en Afrique, Plus tard, bien plus tard, j’aurai la confirmation de cette intuition. Ces gens sont viscéralement gentils, ils ne font jamais de mal à l’autre, tant que la peur généralisée n’a pas gagné la communauté…

* *

*

Tout cela est bien beau, mais moi j’ai le Bac à la fin de l’année, il faut que ces pitreries finissent.

Au matin du quatrième jour de ces évènements je me rends au lycée en scooter.

La ville blanche est calme, déserte… Les accès de Poto Poto sont verrouillés par un piquet non de police mais de l’armée.

Arrivé sur le plateau, au voisinage du lycée, à l’entrée de Bacongo, le déploiement des forces de l’ordre est là plus visible. Tous les cinquante mètres, enfouis dans des trous, des groupes de trois militaires servent un fusil mitrailleur. L’un probablement chef de pièce est debout, tandis que les deux acolytes sont en position, l’un fusil mitrailleur à l’épaule, l’autre, bandes de munitions en main… A première vue cela inquiète, à seconde vue c’est parfaitement rassurant, en effet, ces militaires noirs sont différents des nôtres, bien plus grands, ce sont des Saras, ils viennent du Tchad. Pas de raison, donc, pour qu’ils prennent parti dans cette querelle sanglante.

Dans les jours qui suivent, les informations diffusent, les explications deviennent peu à peu plus compréhensibles.

Voilà ce que j’en ai tiré :

Dans le cadre de la préparation de l’autonomie, de la future indépendance, des luttes souterraines, peu compréhensibles par un adulte blanc et encore moins par un adolescent blanc de 16 ans, minent la communauté noire.

Pour nous, ils étaient des noirs, tous pareils.

En fait, cette population africaine était, et est encore, une mosaïque d’ethnies, de tribus, imprégnée de traditions, de croyances, de peurs qui nous étaient parfaitement inconnues et donc incomprises par les blancs.

Comment un tel désordre, d’une aussi longue durée, avec des évènements d’une telle gravité, avait-il pu se produire, sans intervention immédiate de l’armée ?

Nous l’ignorions, mais la marche vers l’indépendance était déjà entreprise. Le Président du territoire, l’Abbé Youlou Fulber, ès qualité, était le seul à pouvoir faire appel à la force armée pour tempérer une émeute.

Quelques jours plus tard, nous eûmes plus amples informations.

Au cours des trois premières journées, l’autorité civile n’a pas bougée. F. Youlou souhaitait savoir si, ceux du Sud allaient dominer ceux du Nord. Si oui, il était urgent de ne rien faire…

« Radio trottoir » l’organe de presse informel largement consulté nous a dit :

Le colonel commandant la Coloniale et le colonel commandant l’Aviation ont attendu, au cours des deux premiers jours d’être mobilisés par la présidence (Compte tenu de l’évolution politique, cette marche vers l’Union Française, il n’y avait plus de gouverneur du territoire opérationnel). C’est au cours de la troisième journée que ces hauts gradés ont signifié (ont pris l’initiative) la nécessité d’une intervention de l’armée pour assurer au sein des villages une médiation de pacification. (Il fallait arrêter les conneries !).

Traduction locale évènementielle…

Au cours de la première nuit où j’avais été réveillé par maman, le village était en train de s’entretuer en initiatives locales (un remake Nord-Sud de la guerre de sécession quoi !).

Au cours de la nuit suivante où j’avais été réveillé, c’étaient les unités de la coloniales qui ratissaient les cases du village en confisquant tout objet susceptibles de servir d’armes, machettes, couteaux, fourchettes cuillères, etc.

Le quatrième jour, la paix est revenue sur la ville…

* *

*

Dans les jours qui suivirent, à l’approche des congés de Pâques, Louis, mon Père, a pris de sérieuses décisions…

En effet, Yvonne, toujours sure de sa vérité, a déclaré :

  • Louis, nous rentrons, ça suffit, tu as fini ton séjour.

Traduction : tu es là depuis deux ans ! (Deux ans est la durée d’un séjour dans le privé. Les fonctionnaires eux rentrent maintenant tous les ans, depuis que l’on voyage en avion et non plus en bateau !).

La famille donc, en ce temps de Pâques 1959, regagne la métropole, en congés…

Seulement, moi, je reste seul, retenu sur place par l’obligation de passer la Première partie du Baccalauréat. Je suis, à cette idée, fou de joie.

Quelle est ma situation ?

Je vais cohabiter, dans notre concession, avec le remplaçant de mon père à la SVP Brazza. (Société de Vente et de Peinture). Je crois me souvenir qu’il s’appelait Bergonzi. Il s’agit d’un jeune qui prend son poste en célibataire. Je dis un jeune, parce qu’il doit avoir cinq ou six ans de moins que Papa, lequel est dans sa trente neuvième année… Je me suis très bien entendu avec lui, il ne connaissait rien au pays et, je crois, rien à l’Afrique... Je lui ai, à sa demande, ouvert autant de portes que possible. Je n’évoque ici, bien entendu, que les portes d’une certaine vie sociale, à l’exclusion de son environnement professionnel. Même si parfois ces deux mondes, dans un univers étroit, se télescopaient occasionnellement. Je n’en veux pour preuve que les deux ou trois chefs de chantiers de la société Eric et Max, rivale de la SVP, qui pour l’un au moins fut l’un de mes rivaux, lui ayant kidnappé Inès !

Les parents m’ont laissé l’usage du véhicule familial, Il s’agit d’une Dauphine Renault. Je suis autorisé à conduire une voiture, bien que n’ayant encore que seize ans. En effet, mon permis de conduire « Moto » passé sur une BMW 1000, me permet de conduire les véhicules automobiles. (Un an avant, nous pouvions conduire une automobile dès 16 ans, mais la règlementation venait de changer, ramenant cette possibilité à 18 ans. Influence de la Métropole…).

Les trois mois qui suivirent se sont déroulés dans la plénitude, la régularité, la tranquillité d’une vie que je ne savais pas être la fin d’un monde.

En effet, la journée type est conforme aux usages évoqués plus haut, avec quelques petits aménagements liés à la présence d’Inès :

  • 7h00, début des cours au bahut,
  • 13h00, retour à la case pour le repas de la mi-journée, le plus souvent Inès se joint à moi pour partager ce repas de la mi-journée.
  • 14h00, sieste, maintenant avec Inès, donc, on peut le dire, sieste crapuleuse… Oui, mais on dort tellement bien après !
  • 15h30, Au travail, retour sur les cours et début des révisions. Là, chacun de son coté, car je suis en première moderne, donc à dominante math-Physique, tandis qu’Inès est littéraire !
  • 18h30, Départ à la piscine, pour retrouver les copains, pour un bain nocturne (le soleil est tombé) suivi par quelques danses…
  • 19h30, Chacun chez soi pour une nuit salutaire…

Dans mon esprit, cette régularité de nos journées en semaine était salutaire, rassurante. Nous prenions notre plaisir en plein accord avec notre devoir, ce que nous devions faire. Pour l’essentiel, satisfaire à toutes nos obligations scolaires. L’objectif de chacun était de réussir « son Bac », le nécessaire était fait pour que cela soit satisfait. Je n’ai pas le souvenir d’une quelconque anxiété, chez moi, mais aussi chez mes camarades, quant aux résultats de cette année scolaire. Nous préparions naturellement le Bac et nous l’aurions très naturellement…

L’échéance est advenue, à la mi-juin nous avons cérémonieusement passé les épreuves écrites, puis orales. Dans l’environnement du lycée trainait, non déambulait, une personnalité que nous avons ultérieurement identifiée comme étant un enseignant, venu de très loin ! Pour présider le jury de cette curieuse cérémonie que l’on appelle le BAC !

Je me souviens avoir eu connaissance de mon résultat à ce premier Bac, assis sur un tabouret au comptoir d’un bistrot, où, en compagnie de quelques uns, nous fêtions la fin de cette période tout de même contraignante, la préparation du Bac.

J’étais dorénavant titulaire de la Première partie du Baccalauréat Moderne, avec la mention « Assez Bien ».

L’émotion première digérée, l’évidence est que rien ne me retient plus ici, il faut que je rejoigne la famille.

L’alibi, l’excuse de ces trois mois de paradis, n’est plus ! Il me faut rentrer en Europe…

* *

*

C’est la liquidation.

Je me charge de donner et de vendre tous les biens de la famille restants sur la concession. La Dauphine, mon scooter, les meubles, matelas, mobiliers de toute sorte font l’objet de trocs, de marchandages. Je donne, je vends, je liquide...

Un beau matin de fin juin, début juillet, je ne me souviens plus, je prépare un sac de sport qui à l’époque est un cylindre de toile cirée fermé à sa partie supérieure par une ficelle servant au besoin de bandoulière.

Au fond de ce sac, je dispose soigneusement les billets, résultats de mes multiples négociations, sur le dessus, je lite les couches succinctes de mes vêtements de première nécessité, sur lesquelles sont entassés quelques rares biens personnels…

Me voilà prêt pour le retour…

Je n’ai pas le souvenir, d’où me vint le billet d’avion qui me conduisit de Brazzaville Maya-Maya à Orly.

* *

*

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D
merci encore !<br /> les prenons ne me sont ps familliés du tout ou les souvenirs sont trop lointain !<br /> Françoise
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