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Mes souvenirs à partager: une jeunesse en Afrique Equatoriale Française AEF, Une vie de famille, et la suite...

Tome 1 : (UJA) Chapitre 12 : Le début de la fin d'un paradis

Chapitre 12

Le début de la fin d’un Paradis

Oui, les choses bougent dans le monde, dans notre monde !

La mappemonde qui ornait le dessus du tableau noir de ma classe de CM1, à l’école du Plateau, était largement marbrée des taches roses qui recouvraient l’Empire français.

En quelques années les taches se sont réduites, se sont rétrécies. Si cela continue, il ne s’agira bientôt plus que de confettis !

L’Indochine a été rayée de la carte ; les comptoirs de l’Inde étaient partis dans l’émancipation de l’inde et l’incohérence de ce partage entre Inde et Pakistan (Oriental et occidental, futur Bengladesh), adieu Mahé, Yanaon, Chandernagor, Pondichéry et Karikal, les cinq comptoirs de l’inde merveilleusement chantés par Guy Béart ! (Ces territoires sous domination française depuis (1673 et 1738) sont retournés à l’Inde ou au Pakistan entre (1951 et 1956))

L’Algérie, que va t’elle devenir ?

Et, nos territoires…

* *

*

En aout 1958, le 24, nous avions tous été mobilisés pour aller accueillir sur le stade qui jouxte la basilique Sainte Anne du Congo, le Général de Gaulle venu parler aux, aux… Enfin, faire un discours qui annonce l’autodétermination des populations. Autant que je me souvienne, j’étais sur ce stade avec la troupe des scouts de Saint François. Je fréquentais encore le scoutisme !

Dans la famille, subsiste le témoignage d’Yvonne qui pleine d’une émotion toujours vivante, s’exclame : il ma serré la main et il a touché la tête de ta sœur : « Alléluia, Alléluia, Alléluia, » Nous avions vu le sauveur…

Discours du Général sur le stade et une vue de la basilique Sainte Anne du Congo. Août 1958.Discours du Général sur le stade et une vue de la basilique Sainte Anne du Congo. Août 1958.

Discours du Général sur le stade et une vue de la basilique Sainte Anne du Congo. Août 1958.

Il faut savoir que de télévision, point ; des journaux consensuels et peu développés sur le territoire, quant à ceux venant d’Europe il arrivent tardivement et abordent le plus souvent des sujets inconnus ou mal perçus dans nos réalités locales.

Une anecdote concernant Sainte Anne du Congo, la charge financière de cette construction a toujours été hors de porté des populations blanches locales et bien sûr des ressources des populations noires. Tout était bon pour financer la construction bout par bout. J’ai le souvenir de cette campagne menée pour que tout un chacun achète une tuile, il s’agissait de terre cuite recouverte d’un émail vert que chaque souscripteur avait la possibilité de signer avant que la tuile soit intégrée à la couverture. De mon temps la flèche n’a jamais été terminée. Il semblerait que lorsqu’enfin érigée quelques décennies plus tard, elle n’a pas résisté aux guerres civiles de 97.

En ce début d’année 1959, la vie ordinaire de chacun, décrite plus haut, suit son cours naturel sans bouleversement perceptible. Il n’en est pas de même de la vie sociale, depuis le passage du Général de Gaulle, ses discours sur l’émancipation des peuples qui ont droit à l’autodétermination ; enfin, dans les territoires d’Afrique Noire, mais pas en Algérie, bien sûr !

Des assemblées territoriales ont été mises en place, au début avec un double collège, de colons et d’indigènes. Tout bien considéré, je n’ai jamais pensé que les blancs du territoire pouvaient cacher en leur sein la poignée de penseurs nécessaire à constituer une représentation législative équitable ; quant aux évolués, s’il est certain que parmi eux se trouvaient des hommes instruits, cultivés et probablement compétents, l’état de fait de la colonisation ne pouvait les conduire ailleurs que dans une sourde opposition aux blancs.

D’ailleurs, en ce qui me concerne, je n’imaginais pas alors que nos territoires puissent un jour ne plus être Français…

La situation de fait, ne laissait place à aucun compromis raisonnable. Les blancs étaient pour la colonie, les noirs pour l’indépendance et les quelques blancs ou noirs qui auraient pu suggérer une quelconque solution de compromis étaient inaudibles.

Qu’il est triste de n’avoir pas su, à cette époque, ce qui est parfaitement connu cinquante ans plus tard !

Comment ne pas comprendre le désir impératif d’indépendance des élites africaines des territoires français, notamment d’Afrique, si l’on ignore le refus d’accorder la nationalité aux indigènes, ou plus exactement les tris subtils en ce qui concerne l’octroie de cette nationalité. Si vous êtes juif du Maroc, d’Algérie ou de Tunisie, elle peut vous être accordée. Si vous êtes maghrébin, noirs d’AEF ou d’AOF, ou originaire de Madagascar et que le hasard vous a permis de suivre des études secondaires sur les territoires et de poursuivre des études supérieures en métropole sous l’égide salutaire de la République, alors vous relevez du statut de l’Indigénat. Point d’accès aux droits civiques accordés aux nationaux…

Quand en plus, on prend connaissance de la sévérité des répressions dans le juste après guerre, en Algérie ou à Madagascar, et des milliers de morts qui en ont résulté ! Sans aller si loin, savions-nous ce qu’il en était de la rébellion Bamiléké au Cameroun ? Et pourtant, j’aurais du me souvenir de notre copain soldat, interné à bord du Jean Mermoz pour s’être endormi à la garde. C’était donc sérieux ces mouvements dont on ne parlait pas ! Taire les choses ne les fait pas disparaître. De cela, je me souviendrai…

* *

*

En attendant une fin non imaginée, la vie suit son cours. C’est à l’occasion des congés de Noël 1958, que nous avons Papa et moi participé à une partie de chasse qui est restée pour moi mythique…

Autant que je me souvienne, c’est à l’initiative d’André Fraysse, le patriarche de cette famille qui nous était jumelle, que nous avons entrepris ces huit jours d’expédition sur les plateaux Batéké.

L’habit ne fait pas le moine dit-on ! Mais, en l’occurrence les membres de cette expédition sont littéralement déguisés en guerriers en campagne. J’ai compris plus tard que les treillis kakis, pataugas et chapeau de brousse en toile qui nous avaient étés octroyés, ainsi que certains autres équipements provenaient des surplus de l’armée. Il semble que le colonel commandant les troupes coloniales du territoire n’avait que peu de choses à refuser au vieil arracheur de dents (André est chirurgien dentiste).

Il est temps d’afficher une carte de ce fameux Congo Brazzaville. Il s’agit d’une carte « moderne » c'est-à-dire que certains noms d’agglomérations ont changés.

Tome 1 : (UJA) Chapitre 12 :  Le début de la fin d'un paradis

Notre expédition été programmée pour une chasse dans les plateaux Batéké.

Un beau matin, il devait être beau puisque ce ne pouvait être la saison des pluies qui aurait interdit toute migration sur les routes en une telle saison.

Généralement, en Afrique, la, ou les saisons des pluies surviennent sur un territoire lorsque le soleil passe à la verticale du lieu, à la mi-journée. Nous étions sous l’équateur et avions en conséquence droit à deux saisons sèches, décembre et juin, et à deux saisons des pluies, mars et septembre. Bien plus tard, habitant plus au nord à Yaoundé au Cameroun (80-83), il sera question d’une petite et d’une grande saison sèches, et bien plus tard encore, vivant cette fois au Sénégal (96-98), pratiquement sous le tropique, c’est fin juin, début juillet, que tomberont les trombes d’eaux, là-bas tant espérées…J’apprendrai beaucoup plus tard, en tant que pilote d’aéronef, et navigant sous ces latitudes, que tout cela est réglé par le FIT ! (Front Inter Tropical).

Dans les océans, autour de l’équateur, l’ensoleillement provoque l’évaporation de l’eau en formant une gigantesque masse nuageuse qui se déverse quasiment chaque jour à la verticale du lieu ou se trouve le zénith du soleil. Cet immense arrosoir oscille donc, au cours de l’année, entre les tropiques, passant deux fois sur l’équateur et n’atteignant qu’une fois chacun des tropiques, un peu plus nord du tropique du Cancer et un peu plus au sud du tropique du Capricorne, le FIT n’arrive jamais ! D’où au Nord, le désert du Sahara et au Sud, celui du Kalahari.

On comprend alors pourquoi, à Brazzaville ou à Pointe Noire, à quelques modulations liées à l’Océan à Pointe Noire, où à l’altitude à Brazzaville, pourquoi à la saison sèche, point de soleil, alors qu’il brille généreusement entre deux averses à la saison des pluies.

Pour en finir avec ces commentaires météorologiques, j’indique que 25 ans plus tard, alors Directeur de l’Ecole Nationale Polytechnique de Yaoundé, j’ai pris connaissance avec un grand intérêt des relevés d’ensoleillement réalisés sur le site par notre collègue Alain Degiovanni. La conclusion était que l’ensoleillement sur Yaoundé, au cours de l’année 82, était identique à celui reçu à Nancy ! Derrière cette remarque se cachent beaucoup d’idées reçues, trop souvent mal comprises …

Autre remarque, à Brazza, au cours de l’année le soleil visite la face nord de votre maison, aussi bien que la face sud !

A Nancy, la face nord n’est jamais visitée par le soleil, tandis qu’à Bordeaux cette face nord à l’honneur d’incursions quelques jours par ans.

Je m’amuse un peu en relatant ces faits, observables sur place, et repense à la déception de Marion qui, ayant tenté dans sa classe de témoigner qu’à Yaoundé la durée du jour était quasiment la même au cours de l’année, à 6 heure ou 6 heure 30 la nuit tombe, et vite très vite, s’est vue rabrouée par une maitresse qui faisait mille efforts pour expliquer que la durée du jour est variable suivant les saisons. Ma fille avait compris, elle, pas !

* *

*

Or donc, nous voilà en route, trois ou quatre véhicules, je ne saurais le préciser, deux ou trois jeeps Willis et Land Rover et un XXXX pour le transport des équipements sur la plateforme arrière. Nous empruntons la piste du nord qui doit nous conduire sur les plateaux Batékés.

La première étape, après une demi journée de voyage sur le piste poussiéreuse est le Kilomètre 45 (PK45). Cette halte me ramène quatre ou cinq ans en arrière, où sur le P45 (Citroën) conduit par le Père Lamouraire, nous avions emprunté cette piste, en route vers Ouesso et au passage la Reine Galifuru !

En fin de journée, nous atteignons une vaste plaine qui borde la piste. La première chose est d’établir le campement. Les véhicules sont mis cercle étroit, à partir duquel sont tendus des toiles pour nous fabriquer un toit. Cela ne sert à rien en saison sèche, mais cela rassure le citadin. Chacun cherche, dans cet environnement fermé, sa place où on installe son couchage, puis au dessus de celui-ci la moustiquaire salutaire.

Ce premier soir n’a pas été une fiesta qui ait marqué ma mémoire, dès que possible, après une collation frugale et surtout rapide, nous avons plongé chacun dans notre nid, pour un sommeil rapide et profond.

Au matin, 6 heures, au dessus de la colline vers l’Est, l’astre du jour pointe son auréole, le ciel s’illumine, les lourds nuages n’ont pas encore envahi les cieux. Je découvre notre environnement. Nous sommes dans les herbes, sur les plateaux, de vastes pâturages sauvages. Par endroit, cette herbe, dite « à éléphants » est haute de deux mètres et plus. Y pénétrer c’est se faire oublier de tout et de tous. En d’autres lieux, l’herbe d’un vert tendre émerge d’une terre rouge, une latérite noircie par les restes du feu qui a tout nivelé. Ces terres sont périodiquement brulées, par accident croit-on généralement, mais surtout par les habitants des villages voisins qui organisent ainsi de gigantesques chasses. Cernées par le feu, des multitudes animales sont cueillies par ces astucieux chasseurs…

Une remarque, à propos de ces villageois que l’on évoque, sans toujours les voir ! A cette époque, hors des villes, point de goudron sur les routes que l’on appelle d’ailleurs des pistes. En saison des pluies, ces routes ne sont que fondrières dans lesquelles les véhicules quels qu’ils soient s’embourbent au-delà des essieux… En saison sèche, après que soient passées les niveleuses (gros tracteurs à lames) qui arasent les dégâts de la saison passée, on peut rouler sans problème majeur sur ces routes bombées, entre les bas cotés qui forment de précieux caniveaux en prévision des intempéries futures. Le drame alors est la poussière que soulève le véhicule de tête. Celui qui suit est alors obligé, soit de laisser la distance croitre avec le leader pour pouvoir conduire après que le gigantesque nuage de poussière se soit estompé, soit tenter de passer en tête, en un combat périlleux, le meneur ne veut en aucun cas prendre la suite. La mort est aux portes de ces compétitions ridicules…

Conséquence de ceci, à l’époque, les villages ne sont pas établis le long des pistes, ils sont en retrait, invisibles. En roulant on ne voit pas les villages ! En revanche, très fréquemment, le long des pistes cheminent une foule nombreuse. On voit des femmes portant sur leur tête de volumineux ballots, des amoncellements de bois de feu, des jarres etc. Comme il se disait alors, l’Afrique est en marche…

Souvent, quelques pas derrière, l’homme chemine, couvert d’un chapeau improbable, armé d’un parapluie dont on ne peut en cette saison comprendre l’usage… C’est son uniforme ! (Beaucoup plus tard, lorsque les pistes de latérite seront devenues des routes bitumées, les villages seront échelonnés le long de celles-ci. Le monde sera alors très différent).

Le jour s’est levé, autour du campement, nous organisons un petit déjeuner de campagne. Cet exercice ne me pose aucun problème. Des années de scoutisme africain m’ont très largement préparé à cela. Avec deux quarts d’eau (1/2litre), j’étais alors capable de prévoir la dose nécessaire pour le déjeuner, le lavage des dents et éventuellement, très éventuellement la douche (succincte naturellement).

Une fois expédiées les ablutions matinales, s’organise le programme de la journée. La première question est de placer chacun à sa place et dans son rôle dans le convoi de chasse. Je n’ai sur ce point parfaitement retenu que mon rôle. Je suis placé à l’arrière droit de la jeep, doté d’un calibre douze, alimenté par des munitions de 9… J’ai compris que je n’avais rien à faire au cours de la chasse, ne pas chercher à tirer sur quoi que ce soit, bien me tenir pour ne pas être éjecté du véhicule pendant la battue.

J’ai très rapidement compris que quiconque dans cet équipage était dans ma situation…

Seul le chasseur, un portugais bedonnant, et son fils allaient tirer le buffle. Car c’était au buffle que nous allions !

* *

*

Les plateaux Batéké sont de vastes plaines d’altitude de savane émaillée de forêts galeries. Les rivières qui serpentent le long de ces plateaux, en ces lieux, convergent vers le fleuve Congo. Un peu plus au nord, ils auraient débités vers l’Ogoué, vers le Gabon ! Les plaines sont couvertes d’une herbe à éléphant, je l’ai dit, haute de deux mètres, impraticable aux véhicules. Ailleurs, par endroits, sur de larges horizons, les brulis ont ménagé de vastes plaines couvertes de cette herbe naissante parfaitement franchissable par les nos véhicules et particulièrement prisées par la faune qui intéresse nos chasseurs, notamment le buffle. Cette savane est parfaitement « roulable », car la visibilité est excellente dans les zones fraichement brulées sur lesquelles une courte herbe vert tendre inonde l’horizon. Toutefois pour une jeep lancée à vide allure dans cette prairie, quelques pièges doivent être évités.

La savane est parsemée d’arbustes courts et rabougris, pas toujours très visibles, de plus, ça et là, certaines termitières sont des obstacles dangereux, elles se présentent sous la forme de montagnes miniatures escarpées de deux à trois mètres de haut, pas toujours visibles de loin. D’autres sortes de termitières constituent d’autres obstacles beaucoup plus sournois pour le conducteur pressé. Elles se présentent sous la forme de gros champignons, d’énormes ceps de soixante dix à quatre vingt centimètres de hauteur, constituées d’un pied massif recouvert d’un chapeau quasi hémisphérique. Ce sont ces mêmes termitières que nous cassions sur le terrain de sport du collège de Pointe Noire, pour construire la cendrée du stade.

Nous voilà prêts, dans les trois jeeps, à entreprendre cette battue au buffle… Soudain, le fils de notre guide de chasse, un robuste métis d’une vingtaine d’année, émet un grognement difficilement compréhensible accompagnant un geste précis pointant un point de l’horizon… Des buffles !

Les véhicules, dans des rugissements impressionnants, s’élancent vers ce lieu impérativement pointé…

Pour les passagers que nous sommes, c’est l’enfer. Tel une balle de pingpong je rebondi sur l’étroit siège arrière de notre jeep. L’effort majeur est alors de s’agripper à toute prise accessible pour éviter de se retrouver éjecté au milieu de la prairie. Le fusil un instant négligé vous cogne le front, les hanches, les genoux… Il faut non seulement s’arrimer au véhicule pour ne pas être oublié au plus profond de cette steppe, mais en plus faire le nécessaire pour conserver cet attribut qu’est le fusil dont on a la responsabilité…

Lorsque j’ai enfin compris qu’il faut se tenir debout, et non assis, et laisser les genoux encaisser les sursauts imprévisible de la caisse de ce véhicule idiot qu’est la jeep, uniquement conçu pour les deux personnes assises en places avant, mais certainement pas pour les PIM assis à l’arrière…

Au fait, j’ai écrit PIM, mais qui sait encore ce que c’est ? et pourtant, pour moi en ce temps là, c’était une évidence…

PIM = Personnel Interné Militaire, C’est sous ce nom que les prisonniers « Viets » qui servaient comme petite main dans l’armée française étaient désignés. C’est argot indochinois était en usage chez nous…

Les trois jeeps ont coursé sur de nombreux kilomètres, pendant plusieurs dizaines de minutes un troupeau de cinq bêtes, autant que je me souvienne. C’est impressionnant un buffle, massif, à l’avant train puissant, supportant un poitrail robuste, couvert d’une tête énorme, armée d’une paire de cornes couvrant largement par leurs emplantures un front complètement caché.

D’où je me trouvais, rebondissant à l’arrière de la seconde jeep, je n’ai que rarement vu les faces frontales des bêtes, mon spectacle a le plus souvent concerné les puissants arrières trains de ces bêtes lancées dans des galops improbables. Quelle vigueur dans ces animaux maitres de leur domaine, où nous n’étions que des intrus méprisables.

Au briefing du matin, il nous avait été précisé que personne, autre que le chasseur et son fils ne devait tirer les buffles. En conséquence, aux cours de ces nombreuses minutes de course à l’échalote, je n’avais d’yeux que pour l’un et l’autre de ces deux éminents responsables qui occupaient la première jeep. Le fils était au volant, en conséquence peu probable tireur ; le père était à droite, tantôt debout, tantôt improbablement assis ; en fait l’un et l’autre dans l’impossibilité de tirer. Et, en fait, il n’ont jamais tiré !

Mon sentiment à l’époque était qu’il n’avait pas voulu gaspiller une cartouche…

En définitif, notre charge héroïque s’arrête brusquement devant le masse de cette herbe haute, lorsqu’elle n’a pas été brulée. Le troupeau de buffles s’est engouffré dans cette muraille dense, de deux à trois mètres de haut, perforant l’entrée d’une caverne mystérieuse…

Le briefing du matin, nous avait mis en garde, impérativement, sur le danger extrême qu’il y a à suivre un buffle en terrain couvert, dans les hautes herbes…

Que fait, sous nos yeux incrédules, le jusque là éminent chasseur, à pied, seul, le voilà qui pénètre dans l’obscure trouée…

Les véhicules en attente, maintenant moteurs arrêtés, voient leurs chargements débarquer, puis s’assoir, ici ou là, dans l’attente de ce qui est maintenant l’improbable, puisque l’interdit…Pour une fois, je suis face à l’interdit et à la transgression. Pourquoi cet homme prend t-il ce risque ?

Vingt cinq longues minutes plus tard, nous entendons un coup de feu,… rassurant ! les buffles ne tirent pas, c’est encore un privilège de chasseur…

Quelques longues minutes encore avant que notre « héros » n’émerge de ce fouillis végétal et nous invite à venir l’assister à ramener sa proie.

Quelques cent mètres plus loin, nous trouvons au milieu des grandes herbes une petite arène, d’une dizaine de mètres de diamètre, littéralement fauchée au milieu de laquelle git une splendide antilope.

De Buffles nous n’en vîmes plus un…

* *

*

Retour au campement, sur les treize ou quatorze heures…

Il s’agit de prendre une collation maintenant nécessaire, le petit déjeuner est déjà lointain.

Première grande rigolade, au cours de ce salutaire temps mort, ce fut la prise de conscience de notre état… J’ai commencé par un grand éclat de rire en voyant le visage de mon père Louis. Sa tête n’était qu’une boule de poussière ocre, auréolée d’une chevelure hirsute devenue jaune paille, tête d’où émergeait une paire d’yeux larmoyants. Ce fut sont tour de s’esclaffer en pointant du doigt mon propre visage qui, j’ai pu le constater au moyen d’un rétroviseur, était tout aussi empoussiéré.

La nécessité de remédier à notre crasse, qui avec les larmes du fou rire s’était transformée sur nos visages en un masque grossier lequel en séchant commençait à craqueler, nous a conduit à rechercher de l’eau, autre que celle précautionneusement amenée pour boire d’une part et pour assurer, éventuellement, l’alimentation d’un radiateur de l’un ou l’autre de nos véhicules. (Un ou deux ans auparavant, j’avais eu la drôle de tache de faire vingt cinq kilomètres cahotant, assis sur l’aile avant droite d’une bâchée, en alimentant au goutte à goutte le radiateur percé du véhicule au moyen d’une dame-jeanne laborieusement achetée dans un village…). Il s’est alors agit de pénétrer, prudemment la forêt galerie voisine pour atteindre le ruisseau.

* *

*

Là, pour les plus jeunes lecteurs, il convient de sacrifier à un petit lexique au risque de n’être point compris !

Bâchée : Nom générique donné à toute une classe de véhicules comportant une cabine avant, simple ou double, et un plateau arrière, muni d’arceaux recouverts d’une bâche. Bâche fort utile pour protéger les passagers du plateau de la poussière soulevée par le trafic. Il y a toujours du monde sur le plateau d’une bâchée. Les enfants s’y plaisent, mais aussi les africains petits ou grands embarqués avec leur barda à tel carrefour ou à l’occasion de la dernière halte. Ce service mutuel de transport en commun gracieux est l’usage du temps de la colonie. Les taxis-brousse n’existent pas encore.

Dame-jeanne : En ce temps là, l’Afrique, pas plus que la Métropole, ne connaissait les emballages plastiques. Pour transporter les liquides, eau, essence, il existait deux containers particuliers ; Les Jerrycans héritées de la guerre encore proche et bouteilles et bombonnes en verre. Nous désignions par Dame-jeanne une bombonne en verre de 10 ou 15 litres de contenance qui étaient engoncées dans une chemise de lattes de bois paillées. Ce revêtement conférait une certaine résistance à ces grosses bouteilles de verre, naturellement fragiles. Ces objets étaient en brousse très précieux car rares. Chez nous c’est dans ces emballages que Papa achetait le vin rouge qui venait d’Europe, le plus souvent du vin d’Espagne. De dame-jeannes, la famille Guitard en a rarement manqué, Yvonne et Louis surtout étant de grands amateurs de vin, avant d’être rejoints dans cet attrait de la dive bouteille par leurs trois enfants…

Forêt-galerie : Ici, très souvent, les ruisseaux et rivières qui circulent dans les plateaux couverts d’une steppe herbeuse, abritent sur leurs berges chaudes et humides un couvert forestier dense de type équatorial, la végétation y est épaisse, luxuriante.

* *

*

Les quelques accès à la rivière qui sont ménagés dans cette galerie forestière sont créés par les animaux sauvages qui viennent habituellement se désaltérer. Les emprunter en conscience génère une certaine trouille. Nous sommes donc passés par l’une de ces trouées pour accéder à l’eau, en fait, accéder à un tunnel au milieu de la forêt, éclairé par les rayons du soleil qui réussissent à traverser cet ombrage. Là, dans une onde claire parcourant un fond sablonneux, nous avons procédé à nos ablutions… Une myriade de papillons et de petits oiseaux peuplant ces lieux m’ont fait penser à un coin de paradis que nous aurions pu manquer.

Un instant plus tard, repensant aux auteurs présumés de ces trouées d’accès à la rivière, percées dans l’épaisse frondaison, l’inquiétude ressurgit et le désir pressant de se retrouver sur la vaste plaine où les imprévus sont visibles de loin, d’aussi loin que possible…

Nous revoilà au campement en ce début d’après midi. J’ai cru un moment que le temps été venu d’une sieste réparatrice. Erreur, grave erreur ! J’avais oublié que la victoire de la matinée était symbolisée, non par un buffle, mais tout de même par une belle antilope. Il s’agit d’un Céphalophe à dos jaune m’avait-on dit !

Or, cinquante ans plus tard, en réexaminant mais souvenirs à travers Wikipédia, je constate que le dit Céphalophe à dos jaune n’est armé que de deux petites cornes, alors que le trophée de notre capture ressemble plus à l’image ci-jointe ou d’un Cob Defassa ! Enfin le doute peut être levé en se rendant à la Caune, chez mon frère Loulou, où ce trophée règne dans l’encadrement de la petite salle de bain…

Or, donc, nous avions l’antilope sur les bras, si j’ose dire et cent à cent vingt kilo de viande sous l’équateur ne se conserve pas pendant des jours ! Le branle bas de combat est mis pour procéder au boucanage de cette viande.

La première opération a consisté à dépecer et à vider la bête. Cette tache a été magistralement réalisée par le chasseur et son fils. La bête déculottée, tête tranchée a été éviscérée très vite, avec une seule interruption, cet instant où notre mentor ayant les deux mains plongées dans le ventre de l’animal en a tiré un énorme foie sanguinolent. Il en a tranché une large part qu’il m’a tendue

  • Tiens, gouttes, c’est très bon au milieu des conserves… J’ai courageusement croqué a belles dents et ai très rapidement passé le morceau restant à Papa. Une bouchée, pour une première fois, était suffisante, la deuxième aurait peut être conduit à un rejet catastrophique !

Ce rite initiatique assumé, il nous fallut penser aux choses sérieuses, traiter la viande.

Un trou profond a été creusé. Quelques branches épaisses de bois bien vert ont été agencées en clayonnage à mis hauteur du trou couvrant la moitié de la surface de celui-ci.

Un feu est allumé au fond de ce trou, et la viande découpée en quartiers est placée sur cette claie. Puis nous avons alimenté le feu avec une énorme quantité de feuillage vert qui, en brulant, dégageait une lourde fumée qui a progressivement boucané cette viande.

Dans de tels moments, il est facile de rêver, en quelques minutes j’étais parti dans les caraïbes au sein de la flibuste pour faire, sur cette ile où nous faisions escale, provision de viande de chasse en la boucanant pour la conserver longtemps au cours de notre prochain voyage. J’étais un boucanier !...

En cette fin d’après midi, un répit me permet de m’éloigner du campement pour une promenade, en compagnie d’un jeune boy, Mfouti, je crois était son nom. J’ai sous le bras mon fusil et nous marchons dans les basses herbes. A pied, on a tout le loisir d’observer le paysage, c’est beau à cette heure qui précède le coucher du soleil. Il est déjà bas sur l’horizon les couleurs tournent à l’or. C’est alors que Mfouti attire mon attention sur une volée de petits oiseaux, une multitude de petits oiseaux. Il me dit :

  • Patron ! il faut tirer. C’est bon nourriture. Je me prépare à épauler, mais, où sont ils ces oiseaux, dispersés sur le sol dans les herbes ? Les tirer en vol, je n’en ai pas l’habitude et je crains le fiasco. L’idée me vient de pourchasser l’essaim pour le contraindre à se réfugier sur un site plus réduit, un arbuste, pourquoi pas.

Mfouti a compris et me sert d’utile rabatteur. Voila la multitude qui se pose sur un arbuste à une dizaine de mètres de moi. Une réflexion supplémentaire, alimentée par les conseils dispensés à propos de l’épanouissement de la gerbe de plombs, me fait reculer d’une dizaine de pas. J’ajuste l’arbuste et je tire.

C’est dix huit oiseaux que nous avons glanés sous le couvert de notre arbuste. Ceci en une seule cartouche. Au repas du soir, Mfouti a plumé cette victuaille, l’a embrochée celle-ci sur de fines baguettes prélevées sur palmes et a roti le tout à la flamme de notre feu de camp.

Les deux ou trois jours de cette campagne de chasse se sont poursuivis sans qu’il ne m’en reste d’autre souvenir marquant. Il me semble d’ailleurs que le safari d’une semaine qui perdurait au fond de ma mémoire ne fut, en fait qu’un Week-end prolongé…

Un détail, tout de même, dès notre retour à Brazzaville, le trophée de notre Cob Defassa a été laissé dans un coin du jardin au soir de notre retour. Au matin suivant il ne restait plus que le squelette de cette tête. En plein Mpila, dans notre case en ville les fourmis, venues on ne sait d’où, ont dévoré toute la viande en une nuit.

Maintenant, il faut que je change de chapitre, pour vous dire la fin de la fin d’un Paradis

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Y
En 1959, de la concession de la Station radioélectrique des PTT, où j'habitais, j'ai pu voir les cases<br /> de Poto Poto qui flambaient. D'après les commentaires des adultes de mon environnement, il y<br /> avait un différent politique entre les partisans de l'abbé Fulbert Youlou et ceux de Matsua. J'ai<br /> continué à fréquenter le lycée Savorgnan de Brazza sans trop d'inquiétude. Un camarade dont<br /> le père était militaire m'a dit que le village était entouré d'un cordon de parachutistes. C'était une<br /> histoire entre eux. On était désormais en République du Congo et, comme écrit ci-dessus, l'armée<br /> française ne pouvait pas intervenir par la force sans l'assentiment des nouvelles autorités.
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D
Bravo, c'est &quot;Matsua&quot; qui me manquait. Merci de ta réaction. Ce Blog n'est pas encore bien organisé. ce sont mes premiers pas. A+ Daniel
D
la suite vous interesse-t'elle?
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